Blanche ou l’oubli
Blanche ou l’Oubli 1 est un projet de recherche mené au sein de l’Ensba Lyon depuis 2013 2, qui a pour objet d’étude cette sorte de monument littéraire et éditorial qu’est la collection « Blanche » des éditions Gallimard. Plusieurs auteurs insistent sur le fait que l’aspect de la collection a peu changé au cours de son histoire 3. Pourtant, pour peu que l’on soit sensible à la question typographique, une rapide observation de différentes couvertures réalisées dans les premières décennies d’existence de la collection, permet d’observer des variations qui, du point de vue de l’histoire de la typographie, peuvent difficilement être tenues pour « discrètes » ou « presque » inexistantes. Différents modèles de couverture ont jalonné l’histoire de la collection, qui chacun renvoie à une conception différente de la typographie du livre.
À partir d’un objet à la fois mythique et exemplaire, fonctionnant comme un véritable point de condensation d’enjeux de plusieurs ordres, il s’agit de s’intéresser à différents aspects de la typographie, de son histoire culturelle, esthétique, économique et technique.
Les principaux axes de recherche explorés sont :
• Établir l’histoire de la construction d’une identité visuelle de renom dans le champ de la littérature. Éclairer et nourrir, par la même occasion, une page de l’histoire de la typographie (mise en page et dessin de caractère) appliquée au champ de l’édition.
• S’intéresser à la postérité de la Blanche, à son « aura » : l’image de la blanche a servie d’étalon ou de modèle à bon nombre de collections et de revues littéraires. Repérer cette influence c’est mesurer à quel point cette identité visuelle c’est imposée, comme un symbole de la littérature même. Mais cette dimension emblématique de la Blanche, peut s’observer ailleurs : les « apparitions » de la Blanche sont nombreuses, tant dans le champs des arts plastiques que tu cinéma. Dans les films de la Nouvelle Vague, et plus particulièrement dans ceux de François Truffaut et Jean-Luc Godard, ces « apparitions » sont symptomatiques : d’une part de la relation très particulière que ces auteurs entretenaient avec la littérature (dont la « Blanche » semble offrir une image quintessenciée), d’autre part de la cinégénie des couvertures de cette collection, mais surtout de l’aura que la « Blanche » avait acquise à cette époque auprès de certains lecteurs.
• Explorer un pan glorieux de la création de caractères typographiques en France : les didones du catalogue Deberny et Peignot, utilisées sur certaines couvertures de la blanche dans l’entre deux guerres.
Plus généralement, le programme de recherche Blanche ou l’Oubli a pour objectif de contribuer au développement d’un champ de recherche autour de la culture typographique (appliquée en l’occurrence au domaine de l’édition).
1. Ce titre est emprunté au roman éponyme de Louis Aragon, paru dans la collection « Blanche » en 1967.
2. Ce projet de recherche est né d’une discussion entre John Morgan et Jean-Marie Courant qui ont constaté leur intérêt partagé pour la collection « Blanche » des éditions Gallimard. Ils s’étonnèrent que l’histoire de la mise en forme graphique de la « Blanche » n’est jamais été menée de façon approfondie.
Quelque mois plus tard, John Morgan était invité à participer à une manifestation dédiée à la typographie, et toute liberté lui était laissé quant au contenu de cette exposition. C’était une occasion de se pencher attentivement sur la « Blanche ». Il fut convenu que l’essentiel du budget qui était alloué à ce projet d’exposition serait consacré à l’achat de volumes de la « Blanche », qu’il fallait obtenir des organisateurs de pouvoir récupérer les ouvrages après la fin de l’exposition et que ceux-ci deviennent la propriété commune de John Morgan et Jean-Marie Courant. En échange de quoi ce dernier s’engageait à aider John Morgan à rassembler les ouvrages. Jean-Marie Courant proposa également à John Morgan qu’Alexandre Balgiu les rejoigne dans le projet. En quelques semaines un corpus de 400 volumes de la « Blanche » fut constitué, qui couvrait toute l’histoire de la collection. L’exposition qui prenait place dans le cadre d’une biennale dédiée à la typographie, Typojanchi, s’est tenue durant l’été 2013 à Séoul (Corée). Au terme de l’exposition ce corpus fut rapatrié à l’Ensba Lyon afin de pouvoir l’étudier. Durant l’automne 2013 les contours du projet de recherche se sont précisés. Emmanuel Tibloux, directeur de l’Ensba Lyon manifesta son souhait de voir ce projet se développer depuis cette école. Une aide du Cnap fût sollicitée et obtenue en 2014. Catherine Guiral et Olivier Vadrot, tous deux enseignants dans le master design de l’Ensba Lyon, furent associés au projet. Catherine de Smeth est également intervenu régulièrement dans ce projet.
3. Dans un entretien, Guy Goffette — éditeur et membre du comité de lecture chez Gallimard — déclare : « Je trouvais la couverture de la “Blanche” parfaite ; elle n’a pas varié, ou presque pas, en cent ans d’existence » (Yvon Girard, Guy Goffette, Paul Otchakovsky-Laurens, Christian Thorel dans Gallimard 1911-2011. Lecture d’un catalogue, Les entretiens de la fondation des Treilles, Paris, Gallimard, 2012, p. 434). De même, dans une courte notice illustrée, Alban Cerisier écrit que la maquette de la couverture des premiers volumes de la collection « connaît de subtiles variations au cours du siècle » (c’est nous qui soulignons) (« Évolution graphique de la collection “Blanche” » dans, Gallimard 1911-2011. Un siècle d’édition, sous la direction d’Alban Cerisier & Pascal Fouché, Paris, BNF / Gallimard, 2011, p. 66).